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Yomi et les « Yomi Layers »

by eMRaistlin

(adapté de l’excellent article de David Sirlin)

Yomi (黄泉, yomi?, Huang quan en chinois) est le monde des choses de la mort dans la mythologie shintoïste. Dans le monde de la compétition, en général, et tout particulièrement dans le monde de Street Fighter, le terme de Yomi désigne la capacité à lire l’esprit de son adversaire.

Mais gardons nous bien vite de commencer à récupérer Gri-Gri et autres colifichets : le yomi dont je parle n’a rien à voir avec quoique ce soit de surnaturel (quoique, soyons clairs : la télépathie pourrait certainement aider dans les jeux de compétition, cela ne fait aucun doute…).

Si l’on peut arriver à conditionner son adversaire à agir d’une certaine façon, alors il devient possible d’utiliser ses propres instincts contre lui.

Le Yomi va alors consister à lire le jeu de son adversaire, afin de le placer dans une situation où sa réponse deviendra prévisible, et agir en conséquence.

Que se passe t’il, toutefois, lorsque votre adversaire sait que vous savez ce qu’il a prévu de jouer ? Il va devoir trouver un plan capable de contrer le contre qu’il a prévu. Il devra donc jouer à un autre niveau que le votre, avec un « coup  d’avance ».

On dira qu’il joue sur un autre « Yomi layer » (on pourra traduire litteralement en « couche » ou « strate », mais on parlera plus volontiers de Niveau de Yomi.

En substance : vous savez ce que votre adversaire va faire (Yomi Layer N°1), mais votre adversaire le sait et joue en conséquence (Yomi Layer 2). Que se passe t’il quand vous savez qu’il sait que vous savez ? (Yomi Layer 3) : il vous faut un moyen de contrer le contre qu’il préparait. Imaginez maintenant qu’il sache que vous savez qu’il sait…

Ca prête à sourire, car en parler comme ça, on se dit que c’est un peu surréaliste, et que jamais une situation aussi tirée par les cheveux ne se produira réellement.

Et pourtant, c’est le fondement même des jeux de strategie. En effet, tout cela est directement lié à la gestion des inégalités dans les rapport risques / récompense (« risk vs reward ») et à la capacité de conditionner son adversaire à s’y référer.

A

vant d’aller plus loin, rappelons que dans les jeux de strategie, les joueurs sont souvent confrontés à des « Janken » (aussi appellés Guessing Games : jeux de devinettes)

Le Janken, vous y avez probablement tous déjà joué : c’est ce jeu où il faut choisir pierre, feuille ou ciseaux, en essayant de deviner ce que va choisir votre adversaire, en sachant que chaque élément bat un seul autre élément, et qu’il est battu par un seul élément.

Je reviendrai probablement sur ce sujet dans un autre article, tant il est essentiel de bien en comprendre son interêt dans la strategie, et les jeux de strategie.

Pour comprendre comment les joueurs peuvent se retrouver empêtrés dans le labyrinthe nébuleux et complexe des Janken, je vous propose d’aborder le sujet du point de vue des concepteurs de jeu, afin de comprendre comment sont crées ces Janken, et leur utilité.

Un concepteur novice pourrait être tenté de créer des « coups » et des « contres » pour ces coups. Puis, il créerait des contres pour ces contres. Puis à nouveau des contres pour contrer ces contres, et ainsi de suite…

En fait, pour fonctionner, un jeu n’a besoin que de 3 niveau de yomi, puisqu’il suffit de considérer que le Yomi Niveau 4 peut renvoyer au niveau 0 :

Admettons un coup. On l’appelera « SuperCoup ». Il est vraiment très très bon, ce coup.

Si bon que tous les joueurs veulent l’utiliser aussi souvent que possible (et c’est là qu’intervient la gestion des Risques/Recompense : si tous mes coups sont aussi bon, alors tout ce raisonnement n’a plus de sens)

Le Yomi Niveau 0, ici, c’est de découvrir combien ce « SuperCoup » est puissant, et l’utiliser ad nauseam.

De là, normalement, mon adversaire va finir par comprendre que j’utilise ce coup énormément (Yomi Niveau 1), et va chercher a contrer. On admettra donc qu’il finisse par trouver un contre « SuperContre » qui règle le problème du « SuperCoup ».

Ca y est, mon adversaire m’a privé de mon « SuperCoup ». Je ne peux plus utiliser « SuperCoup ». Son « Supercontre » mettant fin à tout mon jeu, je dois trouver moi-même un contre pour le « SuperContre », sinon, il ne restera plus à mon adversaire qu’à utiliser son contre pour gagner.

Il va donc me falloir me munir de mon coup « ContreContre »

Maintenant, mon adversaire ne sait plus ce que je vais faire : je pourrais faire « SuperCoup », comme je pourrait faire « ContreContre »

En fait, je voudrais probablement plus utiliser le « Supercoup » mais je peux faire simplement « ContreContre » dans le but de l’inciter à ne plus utiliser son « SuperContre ».

Et ensuite, je pourrais utiliser à nouveau mon « SuperCoup »

Mon adversaire, pour le moment, est bien démuni : j’ai le choix entre utiliser « SuperCoup » et « ContreContre », mais tout ce qu’il a, lui, c’est son « SuperContre » à utiliser…

Il lui faut donc un contre pour parer mon contre. On l’appellera pour l’exemple,  « ContreContreContre », ou pour faire simple : « Contre3 ». Maintenant, mon adversaire et moi disposons de 2 coups chacun :

Moi :  « SuperCoup » , « ContreContre »

Lui :  « SuperContre » , « Contre3 »

Maitenant, il me faut un contre a opposer à son nouveau coup, sinon, au point de vue probabilité, le coup  « Contre3 » ne possédant pas d’ennemi naturel, il finira forcément par prédominer.

On pourrait jouter un cinquième coup, qui servirait de contre à  « Contre3 », mais ce ne sera pas nécessaire : comme l’enseigne Mark Rosewater, dans le cadre de la création et la conception de jeu, l’élégance doit être le maitre mot, et la simplicité est une des clés de cette élegance.

On évitera donc d’ajouter des choses superflues, et il suffira de déclarer que l’ennemi naturel de « Contre3 » est le seul coup qui n’est pour le moment l’ennemi de personne : le « SuperCoup ».

En gros, si mon adversaire s’attends à ce que je contre son contre, alors il me suffira de faire mon coup original pour gagner ce janken.

En substance, afin de créer un Janken digne de ce nom, il suffit donc de créer des coups jusqu’au Niveau 3 de Yomi, en s’assurant que le Niveau 4 reboucle donc vers le Niveau 0.

J’imagine que cela vous parait probablement un peu confus. Certainement bien plus que cela ne l’est en réalité.

D.Sirlin nous propose ici un exemple dans le cadre de Virtua Fighter 3 (ce qui ne manquera probablement pas d’en rendre certains plus confus encore… :D)

Exemple de Yomi Niveau 3 – Virtua Fighter 3

Virtua fighter 3

Admettons que Akira mette par terre Paï. Alors qu’elle se relève, Paï a le choix entre effectuer une attaque à la relevée (ces attaques ont la « priorité » sur toute les autre attaques du jeu) ou alors, elle peut ne rien faire. Une attaque a la relevée arrêtera n’importe quelle attaque que tentera Akira à sa relevée, mais si Akira s’attends à ça, il lui suffira de se protéger, et de punir avec une choppe garantie.

Paï fait son attaque à la relevée, et Akira le prédis, et s’en protège. Observons maintenant le Janken qui s’en suit :

Akira aimerait faire son attaque la plus dévastatrice (son « SuperCoup »). Même si la choppe est garantie ici, il est possible de sortir de toutes les choppes en ne prenant aucun dégâts, si l’on s’attends à la choppe et que l’on rentre la commande de déchoppe idoine.

La choppe est garantie, mais Paï peut donc l’annuler ensuite.

En fait, Paï est bien consciente que la choppe est garantie ici (c’est de connu de tous), et c’est assez évident que Akira va tenter de faire sa choppe la plus dévastatrice ici. Après tout, cette situation est déjà arrivées des centaines de fois avant, contre des centaines d’Akira différents, et il font tous strictement la même chose. C’est donc plus le conditionnement que la strategie qui dicte sa conduite à Paï ici (à savoir, effectuer sa dechoppe : son « SuperContre » )

En fait, ce sera même sa réaction naturelle, sans y refléchir, au bout d’un certain temps de jeu.

Fatigué de voir sa proie s’échapper sans cesse de sa choppe, Akira décide d’effectuer un de ses coups les plus puissants, tels que le « Double Palm », un coup d’épaule ou son coup de poing double (quelque soit le coup, on dira que ce sera le « ContreContre »)

Pourquoi un coup lent et ample fonctionnera dans cette situation ?

Tout simplement parceque si Paï tente de faire une déchoppe, alors qu’il n’y a aucun choppe, sa manipulation se transformera en tentative de choppe. Si son adversaire est hors de portée, ou bien s’il n’est pas choppable à ce moment là, alors sa tentative de choppe deviendra une « choppe whiffée » (ou choppe dans le vent, pour les intimes ;)) : elle brasse de l’air, et est vulnérable durant un instant. Une règle importante de VF par rapport à Street, c’est qu’il n’est pas possible de chopper un coup durant les frames de startup et les frames actives de ce coup.

Ainsi, si Akira effectue un gros coup bien lent et puissant, il est complètement inchoppable jusqu’à la fin de la phase active de ce coup, pendant le recovery.

Retournons à notre relevée : Akira en a donc marre de voir ses adversaires s’échapper en boucle de sa choppe, et fais donc un coup qui va contrer n’importe quelle choppe : un coup lent et puissant. Ce « ContreContre » fait assez mal, d’ailleurs.

La prochaine fois que la situation se présentera, Paï ne saura pas quoi faire : son instint lui conseillera de faire la déchoppe, mais elle sait que si elle le fait, elle sera vulnérable au coup puissant de Akira. Ainsi, plutôt que de faire sa déchoppe habituelle, elle tentera son « Contre3 » : elle effectuera une garde simple ! En faisant cela, elle se protégera du coup de Akira, et pourra probablement effectuer ensuite une contre-attaque.

La boucle est donc bouclée : Akira lui, afin de ne pas se faire avoir par ce fameux « Contre3 », aura juste à employer son plan initial : sa choppe la plus puissante, puisque les choppes servent précisément à battre un adversaire qui se protège.

Donc, au final, après la relevée de Paï, on a :

Akira peut : Choppe ou Coup Puissant

Paï peut : Déchoppe ou Garde

Comme j’essaie de le montrer, il n’est donc pas si rare de voir des joueurs refléchir à un niveau de yomi 3 ou 4, voire même plus. En effet, le conditionnement rend la déchoppe si naturelle et obligatoire qu’on a plus vraiment besoin d’y penser.

Mais contre un adversaire un peu plus évolué, il faut y réfléchir à deux fois avant la moindre action, a fortiori si c’est un acte simple auquel on ne réfléchis plus d’ordinaire. Un bon joueur d’Akira effectuera parfois un Coup Puissant juste pour déstabiliser son adversaire et lui faire penser à deux fois avant de faire des déchoppes sans réfléchir.

Il pourra ensuite revenir à son plan original, et continuer à placer sa choppe avec un bon espoir de ne pas se faire déchopper.

Une autre  propriété interessante dans tout cela : la « chance du débutant » : en effet, un Akira débutant ira faire une choppe, car contre tous les débutants qui ne savent pas faire de déchoppe, cela fonctionne bien. Le débutant, par contre, n’arrivera jamais a placer la choppe sur des adversaires intermédiaires, puisque ceux-ci effectuent une déchoppe systématique.

Etonnement, les débutant pourront par contre placer parfois la choppe contre des joueurs experts, puisque ceux-ci maitrisent l’ensemble des processus que je décrit plus haut, et donc se protègeront régulièrement au lieu de déchopper.

Bien entendu, l’expert aura vite fait de se rendre compte que le débutant est en fait… un débutant, et il pourra donc appliquer le yomi correct à chacun de ses coups.

Une dernière note, à propos de cet exemple sur Virtua Fighter 3 : pour les besoins de la démonstratin, j’ai bien entendu grandement simplifié les choses. Par exemple, Paï peut, attaquer avec un coup rapide, plutôt que de se protéger, si elle attends un coup lent.

Et Akira possède un autre « SuperContre » en dehors d’un Coup Puissant : il peut aussi effectuer un « Kick-Guard Cancel » (ou kg) : il va appuyer sur Pied, ce qui va le rendre inchoppable jusqu’à ses phases de rcovery. Si Paï tente de chopper, cela va whiffer.

Mais Akira peut ensuite annuler son coup de pied avant la phase active, ce qui va le rendre libre de ses mouvements, et lui permettre de prendre avantage de la choppe whiffée de Paï. Ce qui lui donnera une choppe garantie, et donc, le fera revenir à la situation initiale.

Yomi

Le truc, c’est que si Akira effectue un kg, et reviens à la situation initiale, alors Paï n’aura probablement pas le temps de ré-effectuer une déchoppe en réaction. C’est tout simplement trop rapide.

Il lui faudra elle aussi se mettre à un niveau de Yomi supérieur : elle devra attendre la choppe de Akira, entrer en déchoppe, voir le kg-cancel, et immediatement entrer une nouvelle manip de son choix (probablement une attaque ou une dechoppe). Une hésitation et elle vole, projetée par Akira.

Et soudain, forcer son adversaire à reflechir à un niveau de Yomi supérieur le force à ne plus voir. Même si l’adversaire était prêt pour le Janken décrit au dessus, si vous faite le kg-cancel, et forcez à nouveau un Janken immediatement après le premier, pour lequels ils n’étaient pas préparé, il y a de très forte probabilité qu’il réagisse avec une réponse « automatique », facilement prévisible, car il n’aura pas eu le temps de refléchir à autre chose.

Ce que je tiens à souligner, c’est que malgré le niveau absurde de compléxité de Virtua Fighter, les joueurs sont réellement capable de refléchir à de tels niveaux de complexité et d’intrication.

Rien ne bat le plaisir de jouer à un jeu, et de reussir à placer un coup parcequ’on savait que notre adversaire savait que l’on savait ce qu’il allait faire…

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7 comments

Nayte 27 mai 2010 - 15 h 17 min

Excellent article ! Apprend très bien la notion.
Aussi appelée mind game, et les layers se rattachent au premier degré, 2ème degré, etc… présent comme dans tout les jeux de stratégie (et très apparant au poker puisqu’on peut mentir).
Le nombre de situation de janken à SSF4 étant très importante, bien comprendre cet article est une clef décisive. Merci beaucoup !

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c_nul 27 mai 2010 - 22 h 34 min

J’adore continue comme ça !!!
En ce moment je suis en pleine reflexion sur comment contrer certains coups avec Chun li et je me retrouve toujours bloqué par ContreContre quand je trouve le SuperContre.

Et mon contre3 se fait tuer par le supercoup comme par hasard xD

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Goukiro 28 mai 2010 - 4 h 00 min

Très bel article !! Continue comme cela !!!
Comprendre ce que tu as écrit, reviendrait à pouvoir améliorer son jeu donc à devenir plus fort.

duō xiè

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Bachaka 29 mai 2010 - 11 h 06 min

Thanks pour l’article très instructif comme d’habitude !

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YOMI 3 juin 2010 - 19 h 57 min

lé choz de la mor !

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Mootman 29 juin 2010 - 23 h 40 min

Ton site est puissamment puissant 🙂

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Sbyconnection 24 mars 2013 - 2 h 11 min

Je tombe sur ton article via ogmaing.tv… Ro-Evo time 😉
Le mec est toujours dans la place, chapeau!

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